Lors de sa conférence de presse du 16 octobre 2024, le SIBA a annoncé un programme d’investissements de 120 millions, présenté comme la solution au problème des débordements du réseau d’eaux usées et de leurs conséquences désastreuses lors de l’hiver 2023-2024.
L’importance du chiffre semble avoir fait vive impression auprès de la plupart des acteurs (politiques, journalistes, usagers du Bassin) qui se réjouissent déjà de la prochaine fin des problèmes.
Vaine illusion ! Aucun espoir n’est à attendre de cette annonce, bien au contraire elle est très inquiétante, comme nous allons le montrer en regardant de plus près ce qu’elle contient et en le comparant aux besoins réels.
Le contenu des 120 millions
Selon les explications données par le SIBA lors de sa conférence de presse, cette somme représenterait son programme sur 5 ans et serait répartie ainsi :
Réseau d’eaux usées :
- Nouvelle station d’épuration entre Lège et Andernos : 30 millions
- Renouvellement, renforcement et amélioration de l’existant : 75 millions sur 5 ans, soit 15 millions par an
La création d’une nouvelle station d’épuration a pour but d’augmenter la capacité de traitement et donc de permettre d’accueillir encore plus de touristes en été (comme le SIBA le reconnaît lui-même les installations existantes assurent sans problème l’épuration des eaux usées de 400 000 personnes). Elle ne répond pas du tout au problème de la saturation du réseau par l’entrée d’eaux parasites lors des inondations hivernales.
Le rythme d’investissements sur le réseau ne montre aucune progression et reste identique à celui mis en œuvre depuis 2015 (source Rapport 2023 du SIBA sur le Prix et la Qualité du Service : « Depuis 2015, le SIBA investit en moyenne chaque année 15 M€ pour assurer la pérennité des ouvrages » ; nota : les données disponibles ne permettent pas de vérifier si ce montant est suffisant).
Réseau pluvial :
9 millions sur 5 ans, soit en moyenne 1,8 million par an.
Or, de 2018 (date de la prise de compétence du SIBA sur le pluvial) à 2024, le SIBA a investi en moyenne 2,6 millions par an sur le pluvial (source comptes annuels du SIBA).
On nous annonce donc en réalité une régression des investissements.
Zones humides :
5 millions sur 5 ans, soit en moyenne 1 million par an.
Or, de 2019 à 2014 le SIBA a investi 14 millions (source comptes annuels du SIBA), dont 5 millions pour le seul bassin de Canteranne, et donc plus de 1 million par an pour les autres opérations. Ici aussi on annonce une régression des investissements.
On voit donc bien que l’annonce des 120 millions représente en fait une régression dans les investissements du SIBA pour pérenniser les ouvrages existants, et a fortiori en aucun cas un effort supplémentaire pour améliorer leur efficacité et tenter de résoudre le problème des débordements.
Les besoins réels
L’objectif affiché (que le programme de 120 millions est présenté comme le moyen d’y parvenir) est de réduire les débordements du réseau d’eaux usées lorsqu’il est saturé par les eaux parasites. Ce phénomène est particulièrement critique, et malheureusement trop souvent avéré, avec les eaux parasites provenant du débordement du réseau pluvial qui inonde les zones urbanisées, comme le SIBA le reconnaît (extrait du document SIBA « Porter à connaissance » de l’été 2024 : « La multiplicité des zones inondées génère une pression significative sur le réseau de collecte des eaux usées, effectivement tous les accès (regards de visite et de branchement) constituent des points d’entrée d’eau de ruissellement sans compter les actes volontaires pour limiter les désordres induits par les inondations. Travailler sur cet aspect représente donc un axe majeur pour éviter les impacts sur les systèmes d’assainissement ».
Réduire les débordements nécessite donc que le SIBA mette en œuvre d’une part son programme annuel habituel visant à assurer « la pérennité des ouvrages », et à permettre ainsi aux réseaux de fonctionner en sécurité au maximum de leurs capacités, et d’autre part un programme spécifique pour résorber les inondations qui provoquent des entrées d’eaux parasites supérieures à la capacité de transit du réseau d’eaux usées.
Nous avons vu que l’annonce des « 120 millions » se situe déjà, en particulier sur le puvial, en-dessous des programmes habituels. Mais peut-être ces derniers permettent-ils déjà d’améliorer la situation ? Il n’en est malheureusement rien, la situation ne s’est pas améliorée ces dernières années. En effet, les débordements ne sont pas nouveaux, et suite à ceux de 2014 et 2016, il avait été constaté qu’ils devenaient inévitables suite à un épisode pluvieux de 70 mm cumulés sur 7 jours consécutifs, constatation qui avait été partagée en 2016 entre le SIBA et les services préfectoraux. En 2024, force est de constater que la situation est absolument identique : débordements fin février et fin mars avec pourtant des précipitations beaucoup moins importantes que celles de fin 2023, mais atteignant justement les 70 mm en 7 jours, et demande du SIBA, à travers son « Porter à connaissance » de retenir ce même critère comme cas de « circonstance exceptionnelle » l’autorisant à déborder.
C’est donc bien la preuve que les investissements réalisés (environ 150 millions depuis 2018 sur l’ensemble des réseaux) n’ont apporté aucune amélioration sur le sujet et qu’il serait vain d’espérer que les 120 annoncés changent substantiellement la donne.
En fait cela n’est pas une surprise : fort des enseignements tirés des précédents débordements, le SIBA avait bien pris conscience, avant de prendre la compétence pluvial en 2018, du travail colossal de remise en ordre du pluvial et son ancien président avait précisé qu’il allait falloir pour cela y investir 8 millions par an. Avec 2,6 millions par an de 2018 à 2024 on en est très loin et l’absence d’amélioration était prévisible ; et que dire du ridicule 1,8 million par an annoncé pour la suite. C’est d’autant plus incompréhensible quand on lit le compte rendu du comité syndical du SIBA du 7 juin 2021 qui montre sa connaissance des faiblesses de son réseau : « … multiples débordements et inondations sur l’ensemble du territoire mettant en lumière de nombreuses insuffisances et états de vétusté avancés de certains ouvrages ».
Il est donc clair que l’annonce des 120 millions ne résiste pas à l’analyse. Le montant global peut faire illusion mais cela s’avère très insuffisant, en particulier sur le réseau pluvial.
Les solutions
Au-delà d’une sérieuse réévaluation des budgets consacrés aux réseaux, on ne peut améliorer durablement de la situation sans traiter la cause des inondations, qui peut s’exprimer simplement : la quantité d’eau qui arrive sur une zone urbanisée, par la pluie qui y tombe et l’apport du réseau amont, est supérieure à celle qui en repart par infiltration dans le sol et évacuation par le réseau aval.
Comment peut-on agir sur ces quatre paramètres ?
La pluie : on n’a évidemment pas de moyen de contrôle sur ce paramètre. C’est donc lui qui doit conditionner la politique d’aménagement. Pour respecter le territoire et ses habitants, cette politique doit prendre en compte la récurrence observée des épisodes pluvieux importants et on ne peut accepter que le répétitif soit déclaré exceptionnel.
Les apports de l’amont : toutes les mesures prises dans les zones amont, visant à réguler les débits vers l’aval en lissant les débits de pointe, vont dans le bon sens et participent d’une saine gestion des eaux. Leur impact est toutefois limité au périmètre du lit majeur ; dans le cas du SIBA, l’efficacité de ce genre de mesures sur les zones urbanisées sensibles aux inondations est très faible.
L’infiltration : le principe de l’infiltration à la parcelle est la base de la politique de gestion des eaux pluviales du SIBA qui l’applique indistinctement sur l’ensemble de son territoire. C’est assurément un excellent principe partout où il peut être mis en œuvre. Il est toutefois inapplicable lorsque le niveau haut du toit de la nappe est trop proche du niveau du sol, l’espace entre les deux étant alors insuffisant pour permettre l’installation du dispositif d’infiltration qui stocke l’eau lors d’une pluie pour la restituer ensuite lentement par percolation à la nappe située en dessous. Cette fonction essentielle de stockage temporaire et restitution progressive est supprimée lorsque la nappe est affleurante, comme c’est le cas sur la majeure partie du territoire urbanisé du SIBA, et c’est là que l’on retrouve sans surprise les zones les plus fréquemment inondées. Il est donc impératif que le SIBA arrête, dans les instructions de permis de construire, d’ignorer le caractère affleurant de la nappe.
L’évacuation du réseau aval : des décennies d’urbanisation effrénée ont sérieusement mis à mal le réseau de crastes et fossés creusés par les anciens et des ruisseaux ont vu leur lit restreint, ce qui a réduit leur capacité d’évacuation. Leur restauration doit être la priorité de la collectivité.
Ces deux derniers points sont la clé du problème, et le SIBA en est conscient. Ainsi, son président déclarait dans un interview au journal Sud-Ouest, le 3 décembre 2021 « Notre objectif est de prévenir les inondations, …. sur l’eau pluviale, nous avons des progrès à faire ». Il est clair que ces progrès, pour être réellement efficaces, passent par une profonde remise en cause des pratiques locales d’aménagement d’un territoire très convoité, ce qui explique que les belles paroles d’intention ne sont jusque-là restées que du vent.
En conclusion, s’il veut réellement agir efficacement contre les inondations, il est primordial que le SIBA :
- Cesse d’instruire favorablement les permis de construire en niant le caractère affleurant de la nappe et en faisant croire que le sol sera capable d’absorber par infiltration les eaux des surfaces aménagées. Une fois cette procédure correctement rétablie, il faudra s’interroger sur les actions à mener pour corriger les milliers de cas où elle a été bafouée.
- Traite sérieusement la remise en état des ruisseaux, crastes et fossés. Le prétexte « les propriétaires sont réticents » ne tient pas car la loi est claire et contraignante, il suffit d’un peu de courage politique pour la faire appliquer (articles 215-14 et 215-16 du code de l’environnement). Les dérogations pour autoriser à supprimer un fossé et le remplacer par une canalisation, quelle qu’en soit la raison, doivent cesser, et celles accordées dans le passé doivent être remises en cause.
- Revoie substantiellement à la hausse le budget annoncé en détaillant les travaux prévus et en expliquant l’efficacité attendue de chaque projet.